Annulation des mutations d'office des militaires : qu'en est-il de la réintégration dans les anciennes fonctions ?

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1.- Recours contre les mutations d’office des militaires : quels motifs pour les contester ?

 

En principe, les militaires peuvent être mutés d’office, en tout temps, et en tout lieu, pour répondre aux besoins du service en tenant compte, autant que possible, de leur situation familiale (article L. 4121-5 du code de la défense) :

 

« Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu.

 

Dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service, les mutations tiennent compte de la situation de famille des militaires, notamment lorsque, pour des raisons professionnelles, ils sont séparés :

 

1° De leur conjoint ;

             

2° Ou du partenaire avec lequel ils sont liés par un pacte civil de solidarité, lorsqu' ils produisent la preuve qu' ils se soumettent à l' obligation d' imposition commune prévue par le code général des impôts ;

 

La liberté de résidence des militaires peut être limitée dans l'intérêt du service.

Lorsque les circonstances l'exigent, la liberté de circulation des militaires peut être restreinte ».

 

Toutefois, les décisions de mutations d’office ne peuvent être prononcées qu’en respectant certaines règles.

 

. D’abord, les mutations d’office (MOIS) ne doivent pas revêtir le caractère d’une sanction déguisée.

 

A cet effet, la mesure de mutation ne doit pas conduire à une dégradation substantielle des conditions de travail des militaires et gendarmes concernés, et ne doit pas être prise en vue de les sanctionner (CAA Paris, 2 mars 2018, req. n°16PA03781) :

 

« 3. Considérant qu'une mutation d'office revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent ; »

 

. Ensuite, la décision de mutation d’office doit conduire à affecter le militaire concerné sur un emploi qu’il a vocation à occuper au regard de ses compétences et de ses titres. A défaut, elle pourra être regardée comme étant entachée d’une erreur d’appréciation :

 

« 6. Toutefois, il est constant que le poste sur lequel M. A... a été affecté est un poste purement administratif (…) qui ne correspond donc pas à l'emploi que les chefs de musique ont vocation à occuper. La seule circonstance que le référentiel provisionnel du CERPA produit à l'instance identifie trois postes réservés à des chefs de musique ne suffit pas pour établir que la nomination de M. A... sur l'un de ces postes, comme officier rédacteur à la section synthèse et planification, répondrait aux besoins du service, comme le soutient le ministre dans ses écritures de première instance, alors que, d'une part, ce poste requière des qualités rédactionnelles qui ne sont pas celles qui ont présidé au recrutement de M. A... et que, d'autre part, celui-ci soutient sans être contredit que ce poste n'a en réalité jamais été occupé par un chef de musique. En outre, la ministre des armées n'allègue pas qu'aucun poste de direction d'une formation musicale sur lequel le requérant aurait pu être affecté à la date de la décision attaquée, au sein de l'armée de l'air, d'une autre armée, d'une formation interarmées ou de tout organisme mentionné au 2° de l'article L. 4138-2 du code de la défense, n'était vacant. Par suite, M. A... est fondé à soutenir, ainsi qu'il le fait en contestant dans sa requête " l'erreur de fait " que le tribunal aurait commise en considérant que le poste figurant sur le référentiel n'était pas fictif et correspondait à ses compétences, que la décision attaquée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ». (CAA Bordeaux, 25 mai 2018, req. n°16BX00192).

 

. Enfin, lorsque la mutation d’office est prononcée pour motif tenant à la personne du militaire en cause, ce dernier doit avoir été mis à même de demander communication de son dossier individuel :

 

« 6. En vertu de ces dispositions, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause. Dans le cas où un agent public fait l'objet d'un déplacement d'office, il doit être regardé comme ayant été mis à même de solliciter la communication de son dossier s'il a été préalablement informé de l'intention de l'administration de le muter dans l'intérêt du service, quand bien même le lieu de sa nouvelle affectation ne lui aurait pas alors été indiqué ». (CAA de PARIS, 15 octobre 2021, req. n°20PA01493).

 

En particulier, lorsque la mutation d’office est précédée d’une enquête administrative, le militaire ou le gendarme concerné doit pouvoir consulter le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, les PV d’auditions des personnes entendues sur son comportement :

 

« 7. Par ailleurs, lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. » (CAA de PARIS, 15 octobre 2021, req. n°20PA01493).

 

Ainsi, tout militaire ou gendarme qui se voit notifier une décision de mutation d’office illégale pourrait la contester auprès de la commission des recours des militaires (CRM) puis, le cas échéant, devant le tribunal administratif compétent pour en demander l’annulation.

 

2.- Annulation d’une MOIS : quelles conséquences sur la réintégration des militaires ?

 

En principe, l’annulation d’une décision ayant illégalement muté un militaire ou un gendarme oblige l’administration à réintégrer l’intéressé dans l’emploi qu’il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date de sa mutation CE, 1er juin 2018, M. B., n° 405532 :


« 4. Considérant que l'annulation de la décision ayant illégalement muté un agent public oblige l'autorité compétente à replacer l'intéressé, dans l'emploi qu'il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date de sa mutation ; ».

 

Le droit d’être réintégré ne disparaît que si la réintégration est impossible à cause de la suppression de l’emploi concerné, de la radiation des cadres du militaire concerné ou de sa renonciation sans équivoque à être réintégré :

 

« (…) qu'il ne peut être dérogé à cette obligation que dans les hypothèses où la réintégration est impossible, soit que cet emploi ait été supprimé ou substantiellement modifié, soit que l'intéressé ait renoncé aux droits qu'il tient de l'annulation prononcée par le juge ou qu'il n'ait plus la qualité d'agent public » (CE, 1er juin 2018, M. B., n° 405532).

 

En revanche, lorsqu’une mutation a été prononcée en vue de mettre fin à une situation de tension, l’annulation de cette mutation n’implique pas nécessairement de réintégrer le militaire dans ses anciennes fonctions, mais seulement que le ministre procède à un réexamen de la situation de l’intéressé en vue d’une mutation nouvelle :

 

"8. Alors qu'ainsi qu'il a été dit au point 5, la décision de changer M. A... d'affectation ayant été prise dans l'intérêt du service, afin de mettre fin à la situation de tension au sein de la Musique de l'armée de l'air de la base aérienne de Bordeaux-Mérignac, la présente décision n'implique pas nécessairement la réintégration de M. A... sur le poste (...) qu'il occupait, avant sa mutation, à la Musique de l'armée de l'air. Elle implique en revanche que la ministre des armées procède au réexamen de la situation de M. A... et procède, à cet effet, à une nouvelle affectation de l'intéressé. Il y a lieu d'enjoindre à la ministre des armées de procéder à ce réexamen dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt". (CAA Paris, 5 mai 2022 , req. n°20PA04066).

 

Le cabinet d’avocat en droit militaire, Obsalis Avocat, assiste les militaires et gendarmes dans leurs recours contre les mutations d’office prononcées à leur encontre, les représente devant la CRM et les juridictions administratives pour contester les MOIS, et les accompagne pour envisager les suites de l’annulation éventuelle des ordres de mutation concernés.

 

Par Tiffen MARCEL, avocat en droit militaire, au barreau de Paris

 

Maître Tiffen MARCEL, avocate de militaires et de gendarmes, a fondé le cabinet Obsalis Avocat pour répondre aux problématiques rencontrées spécifiquement pas les militaires et les gendarmes de toute la France. Disposant d’une expertise reconnue dans la défense des militaires et des personnels de la gendarmerie nationale, Maître Tiffen MARCEL leur dédie son expérience dans tous les domaines du droit militaire : sanction disciplinaire, CLDM et imputabilité au service, indus de solde, jurisprudence Brugnot, procédure pénale, démission, résiliation de contrat, réclamations indemnitaires, etc.

 

 

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